
Faustin, Bretagne, 03 août 2015 : un anniversaire pas comme les autres.
Il pleut. Oui, en Bretagne, quelle surprise. Je suis là, perdu dans un coin de France, et franchement, je me demande ce que je fiche ici. La pluie en Bourgogne, au moins, ça servait à quelque chose : on ramassait des escargots, des petits gris, fierté nationale connue bien au-delà des frontières, même si personne ne sait vraiment les manger sans se brûler. Mais ici ? Ici, la pluie semble juste une excuse pour remplir les bars. Oui, les bistrots, si vous préférez, mais avouez que « bar » sonne plus court et pratique, comme la durée de vie d’une éclaircie ici.
Et moi, Faustin, 50 ans, je suis là, perdu dans ce bout du monde où même les GPS semblent abandonner l’espoir. Je ne sais pas ce que je fais là. Une punition, peut-être. Une quête spirituelle, genre Into the Wild, mais avec plus de pluie et moins de sens.
Je ne suis pas contre un verre (ou deux) de temps en temps, je me dis qu’il y a des limites à tout. En Bourgogne, un verre, c’est un verre pour trinquer ; ici, un verre, c’est un rythme, un métronome : un verre toutes les trente minutes. Les Bretons, c’est bien connu, ont une résistance hors du commun, à la pluie comme à l’alcool. A force de manger des moules de bouchot, ils en ont adopté la culture, j’ai l’impression ! Faut leur pardonner, paraît qu’ils vivent en Bretagne. Vous avez vu les photos de Guantánamo ? C’est pareil, sauf que là-bas, ils ont du soleil.
Mais pourquoi suis-je venu, déjà ? Ah oui, pour fêter mes 50 ans. Un événement censé être joyeux, mais qui, à ce stade de ma vie, sonne plutôt comme une mauvaise blague. Je n’ai pas d’amis. Mon boulot m’a lessivé jusqu’à l’os, et ma femme Aziliz, pleine d’une énergie que je ne comprends plus, a réservé une table dans ce qu’elle appelle « un charmant petit restaurant breton ».
Un restaurant planté au milieu de nulle part, en plein néant ! Je pousse la porte des Joncs d’Or.
Rien qu’au nom, j’aurais dû me méfier. À l’intérieur, c’est un mélange étrange entre une salle paroissiale et le grenier d’une tante qu’on n’aime pas. Une décoration vintage, oui, mais vintage dans le sens « abandonnée en 1974 et jamais retouchée ». Des nappes en plastique, des rideaux jaunis, et une serveuse qui semble tout droit sortie d’une carte postale en noir et blanc des années 50.
Les tables sont remplies de ce que je suppose être les anciens combattants de la région. Ils sont vêtus de tenues du dimanche – pas n’importe quel dimanche, non : un dimanche de 1954, probablement, quelque part entre un mariage rural et un épisode de Louis la Brocante.
Nous traversons la salle principale. Là, le spectacle atteint des sommets d’absurde. Un troupeau de personnes âgées festoie, ou plutôt survit. On dirait que chacun a pioché dans une époque différente : un chapeau cloche des années 30, une cravate large des années 70, et là, un pull tricoté à la main qui aurait mérité un procès pour crimes contre la mode.
Le carrelage au sol mérite un prix. Pas pour son esthétisme, mais pour son audace : un motif si atroce que même la maison hantée de Disneyland aurait refusé par principe.
Aziliz, ma femme, inflexible, m’attrape le bras : « Allez, on a une table à l’étage. On sera mieux. » Ah, l’étage. Parce que visiblement, la torture au rez-de-chaussée ne suffisait pas. L’escalier est une œuvre d’art à lui seul : vieux bois, marches usées, un grincement sinistre à chaque pas. Il est si vieux, si branlant, qu’il ferait passer les épreuves de Ninja Warrior pour une promenade de santé. Je monte avec la grâce d’un condamné à mort, certain qu’à tout moment, le tout va s’effondrer, m’entraînant dans une chute spectaculaire au milieu des huîtres et des galettes.
Un brouhaha s’élève. Les conversations, les rires, les bruits de couverts : l’acoustique ici est un désastre, comme si chaque bruit était amplifié par un micro invisible.
Arrivé en haut – avec une prière silencieuse pour remercier je ne sais quel saint breton – je découvre notre table. À gauche, à droite, toujours les mêmes visages. Les mêmes cheveux gris, la même ambiance de décennie oubliée. « Un grand moment de solitude », aurait dit Jean-Marie Bigard. Sauf que moi, je n’ai pas de micro pour transformer ce désastre en sketch.
Bon, allez, courage, Faustin. Une petite coupe de cidre, et tout ira mieux.
Je m’assois. Le siège est bancal. Mon dos déjà douloureux proteste, mais je n’ai plus la force de me battre.
« C’est sympa, non ? » me demande ma femme, pleine d’optimisme. Je la regarde. Elle semble heureuse. Moi, j’ai envie de pleurer. De me lever. De courir sous la pluie jusqu’à la voiture et de rentrer chez moi, en Bourgogne, là où la pluie au moins me comprenait. Mais je ne bouge pas. Parce que c’est ça, la vie à 50 ans : rester assis sur une chaise bancale, dans un restaurant breton improbable, en souriant poliment à un désastre que personne d’autre ne semble remarquer.
Je suis là, affalé sur cette chaise bancale, une serviette en papier sur les genoux, prêt à affronter ce qui ressemble de plus en plus à une mauvaise télé-réalité. La serveuse arrive, portant un plateau qui menace de basculer à chaque pas. Elle me regarde avec cet air qui mélange pitié et lassitude. « Alors, vous prendrez quoi ? » me demande-t-elle, en me tendant un menu plastifié avec une tâche suspecte en plein milieu.
Je jette un coup d’œil. Galettes, crêpes, cidre. Pas une surprise. Mais alors que je parcours la carte, une rubrique attire mon attention : « Spécialités maison : galette complète flambée au chouchen ». Mon cerveau, déjà en surcharge, ne sait plus quoi faire de cette information. Du chouchen ? Sérieusement ? De l’hydromel breton pour parfumer une crêpe qui, à en juger par les assiettes autour de moi, semble avoir été préparée avant l’invention de l’électricité.
« Je vais prendre ça », dis-je, sans réfléchir. Aziliz lève un sourcil, mais elle se tait. Elle sait que je suis à deux doigts de l’implosion, et une remarque de plus pourrait déclencher une crise d’envergure.
La serveuse repart en hochant la tête, et je regarde autour de moi. À ma gauche, un couple de septuagénaires partage une soupe aux algues avec des bruits qui me donnent envie de mordre dans un gilet de sauvetage. À ma droite, un homme seul, coiffé d’un bonnet marin, me fixe intensément en mâchonnant un morceau de pain dur. Je détourne les yeux. Ce lieu n’a pas d’issue.
Puis, le spectacle commence. La galette arrive. Flambée. Mais pas juste flambée : une boule de feu jaillit de l’assiette, si haute qu’elle frôle la poutre du plafond. La serveuse, imperturbable, souffle sur la flamme comme si c’était une bougie d’anniversaire, avant de poser l’assiette devant moi. Je contemple l’objet. Une galette molle, noyée dans une mare de chouchen tiède.
Je prends ma première bouchée. Et là, je comprends que je viens d’ouvrir une porte vers une autre dimension. Une dimension où les papilles gustatives pleurent de désespoir et où chaque bouchée est un défi. « C’est… spécial », dis-je, en mastiquant avec l’enthousiasme d’un condamné au bagne. Aziliz, qui a opté pour une simple salade, me regarde avec un mélange de compassion et de supériorité.
C’est alors que tout bascule.
Un homme entre dans la salle, vêtu d’un ciré jaune et accompagné d’un chien trempé qui dégage une odeur de marée basse. « Qu’est-ce qu’on mange ici ?! » hurle-t-il en s’installant à une table voisine. La serveuse, sans broncher, lui tend le même menu plastifié. Mais le chien, lui, décide que ma galette est plus intéressante. Avant que je ne comprenne ce qui se passe, l’animal bondit, attrape un morceau de ma crêpe et s’enfuit sous la table.
La serveuse revient, visiblement insensible à la scène. « Tout va bien ? » me demande-t-elle, comme si perdre son repas à cause d’un chien mouillé était l’épreuve la plus normale du monde.
Et là, c’est trop. Je me lève. « Je vais prendre l’air », dis-je à Aziliz, qui hoche la tête, consciente que je suis au bord de l’éruption volcanique.
Je descends l’escalier branlant, traverse la salle où les vieux chantent une chanson bretonne dont je ne comprends pas un mot, et sors sous la pluie. Il fait noir. Il fait froid. Et là, devant moi, j’aperçois un panneau lumineux : « Karaoké des Joncs d’Or – Ce soir : spécial Michel Sardou ».
Je réalise que ma soirée est loin d’être terminée.
Je reste planté là, sous la pluie, fixant le panneau clignotant qui me nargue : « Karaoké des Joncs d’Or ». Sérieusement ? Je ne suis pas sûr de ce que j’ai fait pour mériter ça, mais ça doit être grave. Peut-être que j’ai volé un escargot sacré en Bourgogne, et voilà, le karma me frappe avec la puissance d’un crachin breton.
Je repense à ma galette au chouchen, ou plutôt à ce qui en reste, quelque part entre l’estomac du chien mouillé et le plancher branlant du restaurant. Et à ma femme, en haut, entourée de septuagénaires qui applaudissent chaque note approximative d’un Michel Sardou massacré à l’harmonica.
Une voix dans ma tête me hurle de fuir. Mais fuir où ? La Bretagne, c’est comme un mauvais escape game : même quand tu trouves la sortie, il pleut encore. Je fais un pas en avant, puis un autre. Et sans trop savoir pourquoi, je me retrouve de nouveau à l’intérieur. Peut-être que je suis maso. Ou peut-être que j’ai peur de mourir seul sous la pluie, attaqué par un goéland.
Je gravis les marches, chaque pas résonnant comme un écho dans le silence. Aziliz m’attend là-haut, mais un frisson me traverse soudain. Une bifurcation dans l’obscurité, un couloir oublié, attire mon regard.
Au bout, une porte entrouverte laisse filtrer une lumière vacillante. J’approche, poussé par une force que je ne comprends pas. La pièce est petite, encombrée de livres si anciens qu’ils semblent pouvoir se désintégrer au moindre souffle. Sur une table massive, un objet scintille faiblement : un « monocle en cristal blanc », brillant comme un fragment de lune emprisonné.
Un bruissement derrière moi. Je me retourne d’un bond. Une silhouette féminine se dresse, presque irréelle, son visage dissimulé dans l’ombre d’une capuche faite d’un tissu défraîchi, à mi-chemin entre un drap abandonné et une relique d’un autre siècle.
« Vous êtes perdu ? » Sa voix glisse comme un murmure, à peine plus qu’un souffle.
Perdu. Oui, perdu au-delà des mots. Pourtant, je ne réponds pas. Un simple hochement de tête semble suffire.
Elle avance, légère, comme si ses pieds ne touchaient pas le sol. « Venez. » Elle désigne une vitrine poussiéreuse, éclairée par une étrange lueur dorée.
À l’intérieur, un assortiment d’objets défie la logique : un arbre miniature dont les feuilles scintillent d’un vert surnaturel, un miroir bordé d’inscriptions énigmatiques, un verre gravé du nom « Viviane », et une carte postale fanée montrant une grotte obscure.
« Voici le trésor de Brocéliande », déclare-t-elle, ses lèvres esquissant un sourire qui m’échappe.
Mon cœur s’accélère. Le nom réveille des échos anciens, des récits oubliés.
Elle me fixe, son regard invisible pesant comme une vérité que je ne suis pas encore prêt à entendre. Puis elle prononce des mots qui changent tout :
« Vous êtes la personne que j’attendais. »
J’éclate de rire, un vrai, le genre de rire incontrôlable qui fait trembler tout votre corps. Peut-être est-ce l’accumulation de la pluie, des galettes ratées, du karaoké imminent. Ou peut-être que j’ai simplement touché le fond. Quoi qu’il en soit, cette folle et son « trésor » sont la cerise sur mon gâteau d’anniversaire foireux.
Quand je retourne à notre table, Aziliz est rayonnante. Elle vient de commander une tournée de chouchen pour tout le monde. « Ils m’ont demandé de chanter ! » annonce-t-elle fièrement. Oh. Non. Pas ça.
Le karaoké démarre. Les premiers accords de « Les Lacs du Connemara » résonnent, et ma femme monte sur scène avec l’assurance d’une rock star. Elle chante faux, évidemment. Mais elle s’amuse. Elle rit. Elle brille. Et moi, pour la première fois de la soirée, je ressens autre chose que de l’agacement : une pointe d’admiration. Peut-être que le secret de la vie à 50 ans, c’est de lâcher prise. Peut-être que je devrais arrêter de vouloir contrôler chaque détail et simplement… vivre.
Alors, quand le maître de cérémonie m’invite à chanter, je n’hésite pas. Je prends le micro, et sous les regards étonnés des vieux bretons, je me lance dans une reprise catastrophique de « Je vais t’aimer ». Et croyez-moi, ce fut épique. Pas beau, mais épique.
Quand la soirée s’achève, je suis trempé, épuisé et étrangement heureux. Peut-être que tout ça, c’était une leçon déguisée. Peut-être que la Bretagne voulait m’apprendre quelque chose. Ou peut-être que le chouchen est plus puissant que je ne le pensais. Quoi qu’il en soit, en sortant des Joncs d’Or, je lève les yeux vers le ciel. Il pleut encore, bien sûr. Mais pour la première fois, ça me fait sourire.
Des pensées qui me reviennent en tête : « C’est le trésor de Brocéliande », pourquoi cette femme m’a désigné comme la personne qu’elle attendait, et qui est-elle au fait ? Je ne sais rien d’elle, ni comment elle s‘appelle, pourquoi moi ?
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